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cosa fai di bello

Nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas encore publié La question fatidique sur le nouveau Expatclic. La voici donc! Bonne lecture.

 

Je voudrais, par ce petit article, commencer une série de réflexions consacrée à notre condition de femmes expatriées. J’espère que cela vous amusera, au moins autant que je me suis amusée à l’écrire !…

Rédaction en italien : Claudiaexpat

Traduction française adaptée : Valeriex 

 

Vous assistez à un cocktail : heureuse de sortir de la maison après une journée fatigante, vous avez revêtu une jolie tenue et accompagné votre compagnon/mari chez un de ses collègues ou à tel ou tel hôtel, en savourant la joie de pouvoir faire la connaissance de nouvelles personnes, de discuter avec d’autres femmes et de respirer un peu d’air frais.

L’atmosphère est cosmopolite, on parle au moins trois langues et un minimum de 10 nationalités différentes sont réunies sous le même toit (c’est très stimulant). Voilà que s’approche de vous un trentenaire à l’air ouvert et intelligent, qui, d’un ton sympathique, vous demande d’où vous venez. Vous clarifiez vos origines, en lui retournant la question, et vous demandez dans la seconde, presque toujours inévitablement :

« Depuis combien de temps êtes-vous dans le pays ? »

C’est à ce moment-là qu’arrive la question-clé, la question fatidique, l’odieuse, celle qu’avec le temps vous apprendrez à repousser, à contourner, à ignorer, à détester…. :

« Que faites-vous de beau ? »

Les premières fois, soyez-en sûres, vous répondrez sans trop y penser que vous êtes là avec votre mari, qui travaille pour telle ou telle compagnie ou organisme. Lorsque, au quatrième cocktail, vous aurez compris avec certitude que, suite à cette réponse, vous avez déclenché une immense perte d’intérêt de la part de votre interlocuteur, ou que celui-ci voit à ce moment exact une personne de l’autre coté de la pièce qu’il n’a certainement pas vue depuis dix ans et qu’il doit donc se précipiter pour saluer, vous vous ferez plus fourbe, ou du moins vous essaierez. Et à la question fatidique vous répondrez :

« Je fais beaucoup de choses : je fais partie du comité des parents d’élèves de l’école de mes enfants, j’apprends la peinture sur verre, je suis bénévole dans un orphelinat, je suis un cours de cuisine indienne et j’apprends à parler japonais« .

La première fois, vous vous sentirez satisfaite de vous-même, parce que cette réponse vous aidera à vous rappeler combien de choses vous êtes effectivement en train de faire (des choses que votre interlocuteur ne réussirait jamais à faire, même s’il avait seulement un enfant de moins que vous…), mais déjà la deuxième fois, vous comprendrez que c’est peine perdue. Votre réponse sera suivie d’un courtois : « Ah bon?« , et vous verrez l’oeil de votre interlocuteur flotter au-dessus de votre tête, à la recherche d’une voie de sortie ou de quelqu’un de plus intéressant, comme un magnat du pétrole ou un fonctionnaire des Nations Unies.

Forte de cette expérience, vous décidez d’utiliser un stratagème: dans le fond, c’est vrai, vous ne gagnez pas un sou, mais vous faites quelque chose qui, pour vous, a la même valeur qu’un travail. Par exemple : vous êtes à la tête d’un comité de femmes qui a mis en place un projet de santé très important dans l’hôpital le plus désastreux de la ville. Ou bien vous traduisez article sur article pour Amnesty International ou pour Survival, ou encore vous gérez une association pour la défense de l’environnement, de chez vous et avec votre connexion internet.

Vous décidez donc de vous servir de cette stratégie : quand on vous demande : »Et que faites-vous de beau ? » ou bien, encore plus direct : »Et vous travaillez ?« , vous répondrez l’air de rien que oui, vous travaillez à la tête d’une organisation importante qui protège les phoques gris, ou bien que vous traduisez une moyenne de cinquante textes par jour de l’anglais à l’arabe et vice-versa pour un organisme connu de défense des Droits de l’Homme.

À ce moment-là, si tout va bien, l’interlocuteur se montre satisfait et passe à autre chose, et ce soir-là, vous pourrez peut-être arriver à nouer une belle amitié. Mais si votre interlocuteur est du genre stupide, ou fait partie de ceux qui ont une mauvaise opinion des femmes accompagnantes, alors il vous demandera :

« Et tu réussis à vivre de cette activité? » ou bien, plus grossier :

« Et tu gagnes quelque chose ? »

Et là, à moins de vous transformer en grosse menteuse, vous devrez à contrecoeur admettre que non, vous n’empochez pas un euro….

Arrivée à ce point, après une dizaine de cocktails et autres réceptions dont vous êtes sortie toujours plus mortifiée et blessée dans votre amour-propre, différentes voies s’offrent à vous…. mais ne vous attendez pas à ce qu’elles résolvent complètement le problème. Partir en expatriation pour accompagner son ami/mari implique en effet un renoncement à sa propre carrière, ce qui vous « étiquette », et cela indépendamment des stratégies que vous pouvez choisir.

– Solution n. 1 : vous trouvez un travail sur place .

Il existe des femmes qui ont besoin de travailler. Ici, par « travailler », j’entends occuper une position professionnelle rétribuée dans n’importe quel domaine (ou presque). Si elles ne le font pas, ces femmes se sentent frustrées et inutiles. Si vous appartenez à cette catégorie et que vous n’avez pas encore trouvé de travail, la question fatidique vous paraîtra encore plus indigeste. Je vous conseille donc de déplacer des montagnes pour vous trouver au plus vite un travail.

Mais même dans ce cas, tout n’est pas si simple : si l’on admet que votre position vous permet de travailler dans le pays dans lequel vous résidez – parce que parfois, malheureusement, les accords entre les gouvernements et les compagnies et organismes étrangers prévoient que les femmes accompagnantes ne peuvent pas exercer une profession sur place – vous devrez trouver la voie professionnelle adéquate.

Avant tout, il y a le problème de la langue : si vous avez la chance de parler la langue de votre pays hôte à un bon niveau, vous êtes déjà bien avancée, mais si vous allez, par exemple, en Chine, et que pour travailler vous devez connaître un minimum de mandarin, la donne change.

Il y a ensuite le fait que votre formation professionnelle peut limiter vos possibilités: par exemple, si vous êtes architecte, vous pourrez heureusement travailler dans la restructuration des maisons (par exemple), mais il vous sera peut-être impossible d’exercer dans l’enseignement, l’entreprise privée, etc.

Mais supposons que toutes les raisons insidieuses présentées jusqu’à présent n’entravent pas votre recherche d’emploi, et que vous trouviez quelque chose à faire qui vous plaît et qui vous satisfait. Soyez cependant certaines que dans 90% des cas, votre travail ne satisfera pas votre interlocuteur.

Pourquoi ?

Parce que dans la mentalité courante, les emplois qu’occupent les épouses accompagnantes, qui ont été trouvés sur place, sont des emplois de seconde zonele vrai Travail, le solide, bien payé et effectué sans discontinuer dans le temps, c’est celui de votre mari.

Cependant, je vous en prie, le fait de pouvoir répondre à la question fatidique en disant que vous travaillez en étant rémunérée, c’est déjà un beau pas en avant !

– Solution n. 2 : vous parvenez à faire abstraction de l’opinion d’autrui.

C’est une question très vaste, qui pourrait peut-être être traitée dans d’autres domaines, parce qu’elle sort des thématiques liées à l’expatriation pure pour impliquer l’image de la femme dans la société, notre auto estime, notre rôle au sein de la famille, etc.

En général, disons que c’est la tactique qui fonctionne le mieux si vous êtes des personnes vivant l’expatriation avec sérénité et conviction, indépendamment de votre situation professionnelle. Par expérience personnelle et après avoir parlé avec un échantillon réellement varié de femmes accompagnantes, j’affirme cependant que le manque d’intérêt des gens face au fait que l’on ne travaille pas et que l’on ne perçoit donc pas de salaire, est presque toujours un motif d’humiliation et de frustration, même temporaire. Il faut une expérience confirmée et une grande force de caractère pour ne pas se sentir touchée par l’attitude de celui qui perd immédiatement tout intérêt face à une femme qui est à l’étranger pour accompagner son mari. Ce qui nous amène à la :

– Solution n. 3 : vous décidez d’entreprendre une croisade en faveur des femmes accompagnantes et à la première occasion où la question fatidique vous sera posée , vous partirez à la contre-attaque, avec une magnifique philippique sur le rôle que vous jouez, ses avantages et inconvénients, etc. Il est également vrai que, tant que nous ne trouvons pas la force de casser les clichés qui nous étiquettent et nous limitent – et les clichés sur les femmes accompagnantes, il y en a vraiment énormément – nous n’observerons pas de grands changements dans l’attitude que les gens ont à notre égard.

En accompagnant son mari à l’étranger on retombe forcément dans un rôle classique, qui aujourd’hui en Europe est considéré comme désuet, pas très moderne : c’est-à-dire que l’on en revient à s’occuper des enfants et de la maison à plein temps, en incarnant l’ange du foyer, image contre laquelle nous avons peut-être lutté activement lorsque nous vivions dans notre pays.

Il existe cependant des éléments qui font que ce rôle, à l’étranger, revêt une importance particulière : ainsi, la présence de la mère devient fondamentale pour les enfants à partir du moment où ils changent de pays et sont confrontés à une nouvelle langue, une nouvelle culture, un nouvel environnement, et qu’ils doivent reformer un groupe d’amis à partir de rien . Ce qui est complètement différent lorsque l’on vit de manière continue en Europe, avec une famille, des amis, des habitudes et une culture qui ne changent jamais.

Lorsque vous en parlerez, on vous comprendra immédiatement, et on pourra rapidement faire le tour du sujet, en sous-entendant qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer trop en profondeur combien l’adaptation des enfants à un nouveau pays est complexe, et combien le rôle de la mère dans ces phases est important, parce que cela est parfaitement compréhensible.

La réalité est que, malheureusement, celui qui ne le vit pas directement en personne ne peut comprendre, même de manière lointaine, ce que cela signifie et implique vraiment.

Et ceci arrive malheureusement aussi à ceux qui vivent hors de leur pays mais qui n’ont pas d’enfants, ou, dans des cas désespérés, même à des pères qui vivent à l’étranger mais dont le travail est tellement absorbant qu’ils ne parviennent pas à percevoir ce qui se passe dans leur propre famille.

Ce n’est donc pas du temps perdu que de porter un certain intérêt à l’énorme quantité de temps, de dévotion, d’énergie et d’engagement que les mères doivent investir lors de l’arrivée dans un nouveau pays.

Mais arrive le moment où les enfants se sont acclimatés, ont leur groupe d’amis et leurs activités, ce qui dégage partiellement la mère des responsabilités qui caractérisent toute la première période. On peut donner aussi l’exemple des femmes qui accompagnent leurs maris sans avoir d’enfants, et qui, même en disposant de beaucoup de temps, décident de ne pas travailler pour se consacrer à d’autres activités.

Ce qu’il faut tenter de communiquer aux autres de la façon la plus directe possible, c’est le fait que l’expérience à l’étranger constitue déjà en elle-même une formation, un moment d’enrichissement culturel et de préparation à de futures situations de la vie. Il n’est pas nécessaire de travailler en contact étroit avec les autres et de percevoir un salaire pour avoir la sensation de s’améliorer, d’apprendre, de progresser et de découvrir.

Il n’est pas obligatoire d’avoir un travail fixe dans un domaine précis pour pouvoir exprimer sa créativité et son envie de faire.

Si vous tombez donc sur un interlocuteur qui vous semble particulièrement sensible et à l’esprit ouvert, n’hésitez pas à lui parler de votre rôle et de ce que vous ressentez en tant qu’épouse accompagnante qui ne travaille pas. Vous lui ouvrirez sûrement de nouvelles voies de réflexion, et peu à peu vous contribuerez à modifier cette image odieuse et collante de femme qui passe son temps à boire le thé avec ses amies et va, élégamment vêtue, offrir des chaussures usées aux enfants pauvres.

Comme vous êtes là…

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