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deuil en expatriation

Magdalena est Life Coach spécialisée dans le soutien de la communauté expatriée vivant aux Etats-Unis. Elle même réside en Californie, dans la Silicon Valley. Elle nous livrera ses réflexions sur Expatclic. Son website est : www.open-the-box.com Merci Magdalena!

 

 Au début ce n’est qu’un au revoir… Réflection sur le deuil en expatriation.

La décision de partir s’installer à l’étranger est souvent accompagnée d’émotions complexes. On peut même les comparer avec un veritable deuil en expatriation. On quitte un espace intime et personnel (une famille et une place) pour explorer un lieu inconnu (des ressources internes et un cadre de vie nouveau). Il s’agit d’une forme de renonciation où bourgeonne déjà un travail de deuil. C’est d’une rupture que naît le départ. Partir c’est interrompre une forme de continuité rassurante dans son quotidien et dans ses relations avec les autres. D’ailleurs, le terme d’expatrié provient du latin « ex pater », qui signifie «hors de la patrie » et « hors du père ». Selon Marie-Frédérique Bacqué [1] « le travail de séparation n’est pas un travail de deuil, mais il s’en approche beaucoup. Toute perte d’objet d’amour ou de satisfaction ou d’idéal impose d’en faire le deuil ».

La famille quittée peut quant à elle se vivre comme délaissée. Dans un environnement fusionnel, c’est la blessure liée au premier abandon du nid familial qui est ravivée. Sous couvert d’incompréhension, de reproches, de jalousie ou même de colère, une angoisse d’abandon peut émerger. C’est la peur de rester seul, de ne plus participer autant à l’histoire familiale générationnelle, d’être exclu de la vie des petits-enfants qui s’exprime. Et le parent vieillissant redoute un isolement affectif et relationnel difficile à supporter, qui renvoi à une idée de mort.

D’après une étude de février 2011, Panorama de l’expatriation au féminin, menée par Expat Communication, 41% des expatriés sont préoccupés à l’idée de quitter leur famille. Dans la plupart des cas ce sont les enfants devenus adultes qui partent s’installer à l’étranger, laissant parents et famille étendue. L’inquiétude est amplifiée quand le parent montre déjà des signes de vieillesse plus évidents. Les rôles tendent alors a s’inverser : l’enfant devenu adulte devient « parent du parent ». Quand la personne expatriée n’a pas de fratrie, ou bien lorsqu’il ne reste plus qu’un seul parent, le sentiment de responsabilité vis à vis des ascendants s’intensifie. L’expatriation peut alors être accompagnée d’un profond sentiment de culpabilité pour celui qui part.

Le travail du deuil

L’expatriation est donc une séparation. Il implique un travail psychique où l’on assiste à l’éloignement de l’être cher, avec l’éventualité d’un rapprochement futur. Dans le cas du décès d’un membre de la famille, l’absence devient définitive. Il y a une perte irrévocable de l’être cher avec anéantissement de tout espoir de retrouvailles.

A l’annonce du décès s’amorce le travail de deuil. On assiste souvent à un double sentiment ; impuissance et désespoir, qui peuvent être accompagnés d’un sentiment souvent illusoire de responsabilité. La pensée que « j’aurais pu faire quelque chose » conduit à une baisse de l’estime de soi et a un sentiment de dévalorisation. En situation d’expatriation la culpabilité dûe a l’absence complexifie davantage ce vécu. Avec ses attributs d’absence, de distance, de rupture et de séparation propre a l’expatriation, il s’agit pour l’expatrié de faire plus fortement encore le deuil de ce qui n’a pas été et qui aurait pu être. Le travail de deuil implique d’ailleurs la mentalisation des souvenirs, réels ou fantasmés, mais également le renoncement à certains projets, comme celui d’un retour vers la famille telle qu’elle fut laissée, et de retrouvailles qui ne se feront plus.

Dans un registre psychanalytique, on dit qu’un deuil normal s’effectue en trois phases : une détresse à l’annonce du décès, une dépression passagère liée à la perte, puis une adaptation avec intériorisation de « l’objet disparu ». Lors d’un deuil dit compliqué on observe un blocage de ce travail avec une installation de la phase dépressive. Toujours selon Marie-Frédérique Bacqué [1]: « A la fin du travail de deuil, l’endeuillé aime toujours la personne perdue, mais cet amour est désormais attaché au passe. Il ne présente donc plus les caractéristiques habituelles de l’amour au présent (…) Seule la reconnaissance de cet « amour au passé » permet a l’endeuillé d’accepter la perte à la fin du processus de détachement». L’expatrié peut chercher une aide dans le réseau amical qu’il s’est créé dans son espace de vie. Il y puisera soutien, écoute et compassion. La possibilité de mettre en pensée et en mots les émotions est un signe que le travail de deuil est en élaboration. S’il n’est pas possible d’assister aux obsèques, pourquoi ne pas poser une journée symbolique de recueillement ? Certains instaurent une date anniversaire dédiée au parent absent, d’autres se remémorent l’être cher en silence et solitude. Pour la famille expatriée, préserver les rituels et les traditions familiales même lorsque les plus anciens sont partis, permet de garder une identité familiale forte.

Quand le décès concerne les parents…

L’adulte qui perd un parent est avant tout un enfant qui devient orphelin. Quand les deux parents sont partis, il devient le nouveau « chef de famille », représentant patriarcal de la cellule familiale. La réaction face à l’annonce de la mort peut prendre la forme d’une sorte de pragmatisme de protection. Par exemple, c’est l’expatrié absent durant la maladie du parent qui va soutenir les autres membres de la famille, ou bien prendre en charge la logistique des obsèques. Pour pallier à l’impuissance causée par la distance il cherche à se retrouver une place dans des actions concrètes, comme prendre le premier avion pour soutenir la famille. C’est souvent dans un deuxième temps, quand il est de retour dans son espace de vie, que peut se déclarer un contrecoup. Un besoin d’effectuer une sorte de bilan de vie se présente parfois, qui peut aussi remettre en cause certains choix. De là, certains se trouvent face à une décision : poursuivre l’expérience de l’expatriation, ou bien rentrer s’occuper du parent restant…

Même quand les relations avec les parents sont tendues, voire hostiles, la mort marque la frustration de ne pas s’être quitté en paix. Des reproches, des incompréhensions, des colères non exprimées risquent d’être refoulées. Un processus de deuil doit s’effectuer afin de permettre aux émotions, aux trop plein d’affect, à la culpabilité ou même à l’éventuelle colère de s’extérioriser. Il est important d’évacuer tristesse, remord et sentiment de perte pour que ne se cristallisent pas en soi souffrance et tension.

Plus rarement, l’expatrié est le parent qui a laissé au pays ses enfants devenus adultes, et qui vit l’épreuve de leur mort. Il s’agit alors du traumatisme de voir ce qui est considéré comme l’ordre naturel des choses bouleversé. Pour le parent expatrié actif, le fait de continuer à poursuivre ses projets facilite le travail du deuil.

Le décès du cote de la fratrie…

La relation fraternelle est un rapport d’un tout autre genre. Elle concerne une proximité de vie ou des souvenirs, liés a une histoire commune, sont partagés. Les frères et sœurs sont les témoins d’un vécu de l’enfance qui fait fonction de socle identitaire. Des sentiments issus de la perception de l’attention ou de la reconnaissance reçue par les parents participent à la qualité des relations futures. A l’âge adulte, les relations fraternelles évoluent pour couvrir une palette assez large de sentiments qui vont d’une entente de grande qualité, a plutôt agréable, ou bien juste loyale, jusqu’à plutôt distante, voire clairement hostile. Avec l’expatriation les relations fraternelles peuvent davantage s’espacer, ou bien au contraire gagner en qualité par une volonté commune.

Quand la mort d’un frère ou d’une sœur est annoncée c’est l’univers des possibles qui se fige. Les liens fraternels ne sont d’ailleurs pas uniquement éducatifs et comportementaux. Leur réalité biologique est ravivée lorsque le décès provient d’une maladie. La potentialité de partager le même terrain physiologique rappelle les connexions génétiques fraternelles.

C’est aussi la fin des opportunités ; celle de poursuivre un rapport complice par exemple, ou de mettre un terme aux anciennes rivalités, bref, de partager d’autres moments de proximité que l’expatriation avait raréfié. Le décès met un terme à une relation que l’expatriation avait déjà en soit rendu plus difficile. Une culpabilité de n’avoir pas pu en profiter assez peut surgir, accompagné de regrets pour avoir sacrifié des occasions. Dans le cadre de relations teintées de rancœur, des remords pour n’avoir pas pu expliciter les frustrations cumulées accentuent aussi la peine.

Vivre le décès d’un membre de sa famille est une épreuve douloureuse, que la situation d’expatriation va moduler. La distance amplifie la réalité de l’absence mais permet aussi parfois une prise de recul de protection. Entre détresse et souffrance, reviviscence de souvenirs, regrets et nostalgie, c’est en puisant dans sa capacité à aller de l’avant, à poursuivre ses projets, à être réactif dans un environnement inconnu, que l’endeuillé en situation d’expatriation pourra poursuivre son cheminement, et ce malgré peine et perte.

 

Magdalena 
Bay Area, USA
Avril 2012

[1] Marie-Frédérique Bacqué « Apprivoiser la mort », Odile Jacob

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