Ian Callen est un expat britannique qui vit en Provence, France, avec sa femme Anna et leurs trois enfants. Il a fondé Go Provence Supported Holiday, un incroyable projet qu’il nous fait découvrir dans ce bel article. S’il vous plaît, faites circuler! Merci Ian.
Nous remercions Anne pour la traduction de l’anglais
Enfant, je vivais avec ma mère et ma petite soeur dans un HLM de Bristol et j’adorais l’émission de télé « My family and Other Animals » (« Ma famille et Autres Animaux »). Un drame basé sur le livre de Gerald Durrell, qui décrit l’enfance du naturaliste et écologiste sur l’île grecque de Corfou. Chaque semaine, le programme démarrait sur un soleil se couchant sur une Mer Méditerranée scintillante, accompagné d’une chanson folk aussi belle que toutes celles que Brian Eno a enregistrées. Pendant 25 minutes, l’enfant de 7 ans que j’étais se retrouvait transporté dans un paradis exotique, pur et ensoleillé. Rien à voir avec Bristol, la ville de banlieue nuageuse et surpeuplée à laquelle j’étais habitué. Je vis maintenant en Provence, région ensoleillée du Sud de la France et lorsque je remonte dans mon passé pour retrouver le moment précis où j’ai commencé à rêver de déménager dans un pays où le paysage naturel domine et où le soleil coule comme du vin, je sais que ce programme de télé fut le point de départ.
Mon envie de quitter l’Angleterre pour un pays ensoleillé m’a conduit adolescent, avec deux de mes meilleurs amis, en Espagne et dans le Sud de la France. Nous avions racheté à ma petite amie de l’époque pour 200£ sa 2CV rouge et blanche, nos copains se moquaient de la vitesse de notre véhicule mais cette petite voiture nous convenait tout à fait.
Nous avons passé du temps en Espagne puis en France. Nous avons roulé le long de la Côte d’Azur en cet été 1995, avec un sentiment de liberté sur un air de Simon et Garfunkel. Nous avons campé dans petit port près du célèbre village de pêcheurs de St Tropez, Port Grimaud. Le camping était fréquenté par d’autres personnes, libres d’esprit comme nous et nous y avons finalement passé le reste de l’été.
Ma vie adulte a commencé à Port Grimaud, avec la Méditerranée en toile de fond. Quelque chose dans la culture française m’attirait fortement même si je n’arrivais alors pas à l’expliquer. C’était le même sentiment que je ressentais lorsque, enfant, je regardais « My Family and Other Animals ». Aujourd’hui, quand je me demande pourquoi je vis encore en France, je me dis que ça a à voir avec le fait que les français sont très sûrs d’eux et sont passionnés par ce qu’ils sont et ce qu’ils font. L’écrivain Thomas Merton, poète, activiste, étudiant en religions comparées le dit bien mieux que moi dans son livre « The Seven Storey Mountain », sa description de la France des années 1920, où il passa son enfance.
‘But the wonderful thing about France is how all her perfections harmonise so fully together. She has possessed all the skills, from cooking to logic and theology, from bridge-building to contemplation, from vine growing to sculpture, from cattle-breeding to prayer, and possessed them more perfectly, separately and together, more than any other nation.
Why is it that the songs of the little French children are more graceful, their speech more intelligent and sober, and their eyes calmer and more profound than the children of other nations? Who can explain these things?’
En tout, j’ai passé environ trois ans à Port Grimaud à la fin des années 1990. C’est là, dans ce même camping, que j’ai rencontré ma future épouse, Anna, une jeune anglaise originaire d’un bel endroit du Kent (tous les endroits du Kent ne sont-ils pas beaux ?) et étudiante en français et espagnol.
A 24 ans, Anna et moi nous sommes mariés à Bristol, et nous avons vécu dans un petit appartement dans le centre de Bristol, près de l’autoroute M32, d’un immense Tesco et d’un Ikea. Très différent des vignobles de Provence, mais nous nous y plaisions et nous étions heureux. Pendant quelques temps en tout cas.
Ce n’est que cinq ans plus tard, en 2005, que j’ai commencé à me dire qu’il y avait d’autres choses à la vie. J’avais étudié l’horticulture au zoo de Bristol et avais monté ma propre affaire de paysagiste mais je rêvais encore de la France. Alors que tous mes amis commençaient à avoir des « vrais » boulots et parlaient de « hypothèques » et « bébés », je cherchais tous les moyens d’éviter les engagements financiers. Anna et moi sommes devenus Anna et moi plus un, puis plus deux. Notre vie changeait , la vie de famille imposait ses conditions, notre liberté se réduisait comme peau de chagrin en même temps que les enfants grandissaient. La claustrophobie s’est installée et avec beaucoup de persuasion, j’ai réussi à remettre d’actualité notre déménagement en France.
Une fois la décision prise, je me sentais bien plus heureux mais aussi pressé, je craignais que nous ne réussissions pas à partir et à trouver une solution pour notre installation. Nous avons épluché les sites français et anglais à la recherche d’un emploi. Nous avons trouvé une offre intéressante, une école internationale en Provence recherchait un prof de maths, spécialisé dans l’enseignement aux enfants dyslexiques.
Professeur diplômé depuis peu, j’enseignais l’horticulture et la protection de la nature à des personnes handicapées dans une ferme; j’ai écrit une lettre à la directrice de l’école internationale, Sally, école bien nommée L’Ecole Internationale l’Olivier, pour la convaincre qu’elle devait me choisir moi plutôt que quelqu’un de qualifié pour enseigner les mathématiques dans son école située sur les bords du Verdon. Quelque chose dans ma lettre a dû lui plaire. Sally m’a répondu que je ne pouvais bien sûr pas enseigner les mathématiques mais qu’elle allait créer un poste pour moi et Anna dans son établissement. Elle voulait que j’enseigne l’horticulture et la protection de la nature, la photographie (une de mes passions) et l’astronomie et que Anna enseigne le français, l’espagnol et l’anglais. Ces postes nous ont été proposés en février 2007 et en juillet, nous avions vendu et donné nos possessions, nous sommes montés dans notre monospace avec nos deux jeunes enfants et deux chats, direction Quinson, Gorges du Verdon, Provence.
Nous avons enseigné pendant deux ans. Sally, merveilleuse professeur, repérant les enfants réfractaires aux méthodes d’enseignement archaïques et sa belle école n’ont pas résisté à la crise financière de 2008. J’ai entendu parler pour la première fois de ce cauchemar économique un après-midi au supermarché, une américaine que nous connaissions disait, en remplissant son panier de pêches au sirop, « un orage arrive, comme on n’en a jamais vu, vous ferez mieux de vous mettre à l’abri ». Cette prophétie ne sauva pas l’école et Anna et moi-même nous sommes retrouvés au chômage en France. Joli.
En faisant la queue à Pôle Emploi, je pensais à notre futur. J’étais sûr d’une chose, c’est que je ne voulais pas rentrer en Angleterre. Nous nous sentions à la maison à Quinson, les enfants se plaisaient dans la petite école primaire du village et commençaient à se faire des amis. Nous n’avions jamais été aussi pauvres mais jamais aussi heureux.
En me promenant un matin dans les pré-Alpes ensoleillées avec Anna, je me souvins d’une idée que j’avais eue en Angleterre. C’était ma dernière journée d’enseignement à la ferme. Un par un, les gens venaient dans la classe (un cabanon de jardin) me dire au revoir et me souhaiter bonne chance en France. Je leur disais vous viendrez me voir, tout en sachant à quel point les voyages peuvent s’avérer compliqués pour des personnes handicapées. C’est là que j’ai eu l’idée de créer une compagnie de vacances assistées. En faisant mes adieux, une idée était née.
Donc, j’ai repris cette idée à l’été 2009 et me suis dit que je tenterai l’expérience pendant une semaine. J’ai recontacté mes anciens étudiants et sept d’entre eux ont souhaité venir passer une semaine avec nous. Je savais que nous aurions besoin d’aide et j’ai contacté un vieil ami, Neil Manser, qui vivait toujours à Port Grimaud, à une heure et demi de chez nous. Il a accepté de venir nous aider pendant les vacances.
Les vacances furent organisées, quelque peu chaotiques, mais dans une ambiance familiale car nos enfants étaient là aussi, et nous avons tous passé un bon moment. Nous avons beaucoup ri et tout le monde est rentré chez soi, non seulement heureux, mais un peu changé, je ne saurai l’expliquer mais je crois que c’était de l’espoir. En janvier 2010, Go Provence Supported Holidays fut lancé. Notre objectif : offrir un accompagnement sans condescendance à des vacanciers handicapés dans le cadre si vibrant des Gorges du Verdon.
Le plus difficile fut d’établir les statuts de notre compagnie. Anglais ou français? Caritatif ou Affaires? Nous avons opté pour une société de droit français. Dans ce but, nous avons dû remplir un dossier pour trois domaines différents : tourisme, handicap et Chambre des Métiers. Les bureaux du Handicap et la Chambre des Métiers ont accepté nos dossiers mais le dossier Tourisme a été refusé. La commission du tourisme exigeait que nous ayons trois ans d’expérience de direction dans le milieu du tourisme et nous n’avions qu’une semaine. La bureaucratie française reconnaît difficilement le potentiel de nouvelles idées. L’obsession française pour les diplômes et les qualifications nuit aux gens non diplômés. Toute personne avec un esprit d’entreprise n’a pas forcément les qualifications, et cette absence de qualifications ne devrait pas vous empêcher de mener vos projets à terme.
Nous avons donc choisi la filière anglaise. Nous ne pouvions pas nous déclarer organisation caritative car les directeurs vivaient hors d’Angleterre et du Pays de Galles, nous nous sommes donc déclarés société à responsabilité limitée, en ne remplissant qu’un formulaire. J’ai signalé à Companies House que nous travaillerions avec des adultes vulnérables et ai demandé si nous aurions besoin d’une autorisation. Leur formulaire générique suffisait. D’une extrême à l’autre. C’est ainsi qu’est né Go Provence Supported Holidays. Un bébé anglais vivant en France. Un vrai expat.
Nous avons dû nous faire connaître au début, mais nous nous sommes développés progressivement, tout en apprenant, en améliorant ce qui marchait le mieux et en définissant bien ce que nous voulions que nos vacanciers ramènent avec eux. Un des aspects dont nous sommes très fiers est que nos vacances attirent toutes sortes de gens. Quiconque vient passer des vacances chez nous, avec ou sans handicap, passe un bon moment.
Nos vacanciers nous ont aussi donné des idées. Je pense que ceci est dû au changement d’environnement et au fait qu’ils se retrouvent dans un lieu propice à l’inspiration. Une nouvelle idée peut aboutir à un changement drastique lorsqu’ils rentrent en Angleterre. Ils peuvent être inspirés par la cuisine de Neil (notre chef) et commencer un cours de restauration, donnant une nouvelle direction à leur vie. Nous essayons de façon naturelle de faire ressortir leurs ambitions et idées pendant ces vacances car c’est une occasion de changement.
Si nous arrivons à satisfaire l’administration française, nous créerons une structure de droit français et pourrons ainsi accueillir des personnes handicapées françaises pendant les vacances. Nous aimerions instaurer une mixité anglais/français. Ce serait un échange culturellement enrichissant et profiterait à l’association.
Nous souhaitons aussi sortir du cadre de la Provence: photographie de la faune et la flore au Canada, randonnées à travers l’Europe, les aurores boréales en Suède, bénévolat dans les pays en développement. Nous voulons changer la façon de voyager des personnes handicapées, augmenter leurs possibilités pour que l’accès au voyage devienne une évidence. Les voyages sont importants pour le bien-être. J’ai connu quelqu’un qui travaillait dans une maison de soins palliatifs et dont le travail consistait à accompagner les malades pendant leurs derniers jours en ce monde. Il m’a dit que quand les malades évoquaient leurs regrets, ils ne parlaient pas d’argent ou de carrières. Ils disaient qu’ils auraient aimé passer plus de temps avec leurs proches et avoir plus voyager.
Voilà pourquoi je pense que nos vacances sont si précieuses.